Du nouveau visage des rez-de-chaussée en période de coronavirus

Si les premières semaines du confinement ont vu l’immense majorité des commerces baisser le rideau, dans les rues de la capitale, certains d’entre eux ont aujourd’hui rouvert tout en modifiant leurs activités pour mieux s’adapter aux contraintes de la période, répondre à des besoins nouveaux, inhérents à la crise sanitaire, et bien sûr permettre une poursuite d’activité. À priori frappé de plein fouet par la crise, le rez-de-chaussée démontre ici sa capacité à être un lieu propice à la réinvention. Un nouveau paysage se dessine à hauteur de piéton, fait de bidouille, de mutualisations et d’inventivité. S’il est trop tôt pour affirmer que ces micro-aménagements annoncent une tendance durable, ils mettent déjà en évidence les vertus du rez-de-chaussée comme espace malléable… voire outil de résilience ? Petit tour d’horizon, forcément très subjectif puisque cantonné au périmètre proche des lieux de vie de l’équipe du Sens de la Ville dans l’est parisien.

 

Ce que l’on observe de prime abord, c’est ce que notre jargon d’urbaniste appellerait de “nouvelles hybridations programmatiques” ou des “mutualisations” spontanées qui tendent à exploiter au maximum le potentiel des points de vente encore autorisés, en y agrégeant de nouveaux services dans une version très parisienne du “tabac-presse-épicerie-dépôt-pain” de campagne. Près de Goncourt, le bar « Le Myrobolant » propose désormais des plats à emporter ou à la livraison, la vente de paniers de légumes et d’épicerie italienne, et des spiritueux. « Après plusieurs semaines de fermeture, nous avons été obligés de nous réinventer. C’était ça, ou on mettait la clef sous la porte. Notre avantage, c’est d’avoir accordé beaucoup d’importance au choix des produits, ce qui nous permet maintenant de les proposer à la vente… ce qui n’est pas possible pour un bar plus classique qui ne vend que de la bière standard par exemple ». La fromagerie Goncourt, elle, s’est lancée dans la distribution de masques fabriqués maison par une habitante du quartier : « une cliente qu’on connaît bien a commencé par nous offrir des masques, puis nous a proposé de les distribuer sur place… on en a écoulé 250 en trois semaines, et la demande ne faiblit pas ! » Précisons qu’il ne s’agit pas d’une activité commerciale, puisque l’intégralité du produit des ventes est reversée à des associations. Sur le boulevard Voltaire, du côté de Charonne, une petite librairie de quartier s’appuie sur son caviste voisin pour écouler ses stocks : commande en ligne et mise à disposition de livres entre les cartons de Bordeaux et de Bourgogne, ou comment improviser le mélange des genres propre aux concept store à la mode (d’autres n’ayant pas attendu le covid pour mettre en place ce concept hybride !). Mentionnons enfin cette agence de voyage, boulevard de Belleville, transformée en primeur en période de Ramadan et qui contribue à pallier la fermeture du marché sur le terre-plein. Par ailleurs, des surfaces plus grandes ont été sollicitées – telles que la Médiathèque Marguerite Duras, le Simplonlab et Homemarkers – pour fabriquer des blouses pour le personnel hospitalier entre autre.

C’est aussi l’occasion de vérifier une fois de plus ce rôle si spécifique joué par les rez-de-chaussée d’interface entre public et privé, entre dehors et dedans, rôle qui se joue dans l’épaisseur du frontage : de la vitrine à la partie d’espace public investie plus ou moins légalement par l’occupant d’un rez-de-chaussée. Les Rigoles, bistrot dont la terrasse contribue habituellement à animer la place du même nom n’a pas renoncé en temps de confinement à occuper son morceau de frontage pour vendre plats à emporter, thé et jus de fruits frais. Et à Goncourt toujours, la transformation du pas de porte de la fromagerie en « salle d’attente » embouteillée fait écho à l’épineuse problématique du partage de l’espace public, et nous rappelle que dans rez-de-chaussée, il y a « chaussée » …

Enfin, la vitrine devient un support d’expression de messages ironiques, généreux, voire désespérés… ou un espace de ressource comme ce local associatif à Belleville, qui la met à profit pour afficher un kit de « jeux à faire soi-même en période de confinement ».
Les Bols d’Antoine : restauration à emporter et distribution alimentaire solidaires
Boulevard de Belleville, une agence de voyage transformée en primeur en période de Ramadan qui contribue à pallier la fermeture du marché sur le terre-plein.

Le Myrobolant, bar et maintenant épicerie et liquor-store

Les Bols d’Antoine, vente à emporter et point de collecte/distribution solidaire

Des masques made in 11ème à la fromagerie

Une agence de voyage transformée en primeur

Vitrine taquine

Vitrine utile : un local associatif affiche un kit de jeux à faire soi-même

Frontage, le nouveaux comptoir de vente à emporter